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Le carnet d'Intima

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Intimités africaines, un marché de la lingerie en pleine mutation

02 juillet 2025

Longtemps relégué à la sphère intime, le marché de la lingerie féminine en Afrique connaît aujourd’hui une transformation à plusieurs vitesses. Entre traditions profondément ancrées et appétence croissante pour la modernité, les dessous féminins racontent bien plus qu’une histoire de style : ils révèlent les évolutions sociétales, économiques et culturelles d’un continent multiple.

Une Afrique, des marchés pluriels

Parler de "marché africain" serait réducteur. Le continent est une mosaïque de 54 pays aux réalités économiques, sociales, religieuses et climatiques très diverses. Les dynamiques urbaines en plein essor, la croissance d’une classe moyenne éduquée, l'explosion de l'e-commerce et la montée en puissance des influenceuses locales bouleversent les codes dans des capitales comme Lagos, Dakar, Johannesburg, Abidjan ou Nairobi. Dans les grandes métropoles, les femmes consomment différemment : elles recherchent des produits qui leur ressemblent, à la fois modernes, pratiques, valorisants, mais aussi respectueux de leur culture et de leur morphologie.



Une dynamique régionale contrastée, mais prometteuse

Selon Actual Market Research, le marché de la lingerie au Moyen-Orient et en Afrique atteindra près de 4 milliards USD d’ici 2028. Si l’Afrique du Sud se positionne comme leader du continent en termes de valeur, d'autres pays comme le Nigeria, le Kenya, le Maroc ou encore la Côte d’Ivoire enregistrent une croissance soutenue grâce à l’essor de la classe moyenne, du e-commerce, et d’une demande féminine plus affirmée.Le paysage de la distribution de lingerie en Afrique se structure autour de quatre piliers complémentaires : les boutiques spécialisées, la grande distribution, l’e-commerce, et un tissu croissant de marques locales.

Dans les grandes métropoles comme Johannesburg, Casablanca, Nairobi ou Abidjan, les boutiques spécialisées dominent le segment haut de gamme. Elles s’implantent majoritairement dans les malls ou les quartiers commerçants prisés. Parmi les enseignes internationales les plus visibles : Etam, présente dans plusieurs pays (Maroc, Tunisie, Sénégal…), La Senza, implantée notamment en Afrique du Sud ou en Égypte, Intimisssimi au Maroc par exemple. À côté de ces géants, des acteurs multimarques locaux comme Candy Lingerie à Douala, montent en puissance, misant sur un assortiment soigné et une connaissance du marché local.

La lingerie de moyenne gamme, plus accessible, se retrouve dans les hypermarchés et enseignes généralistes. Dans des pays comme le Maroc, le Nigeria ou la Tunisie, des chaînes comme Marjane, Shoprite, Pick n Pay ou encore Carrefour proposent une offre lingerie intégrée à leurs rayons textile. Ces points de vente séduisent par leurs prix compétitifs, mais la qualité et le choix de tailles restent inégaux, surtout pour les consommatrices aux morphologies hors normes.

Mais, l’un des bouleversements majeurs de la dernière décennie réside dans l’explosion du commerce en ligne. Des plateformes telles que Jumia (présente dans plus de dix pays), Zando ou Superbalist en Afrique du Sud ont contribué à élargir l’accès à une lingerie plus variée, en particulier dans les zones peu desservies.Le digital favorise aussi l’émergence de marques 100 % africaines, vendant en direct (D2C) et utilisant les réseaux sociaux comme levier de notoriété. Instagram et TikTok sont devenus des vitrines privilégiées, valorisant des esthétiques modernes et inclusives

La femme africaine, actrice d’un renouveau sociétal

La place des femmes dans les sociétés africaines évolue à grands pas. Plus autonomes financièrement, plus visibles dans les sphères politiques, médiatique et entrepreneuriale, elles portent une double exigence : confort et empowerment. Dans des sociétés encore parfois patriarcales, la lingerie devient un outil de reconquête de soi, de plaisir personnel. Un acte d'affirmation, voire de révolte. Dans les pays du Maghreb, où la pudeur reste une norme sociale, les femmes consomment beaucoup de lingerie, souvent dans un cadre privé. Le marché y est largement structuré, avec une forte présence de marques européennes. En Afrique subsaharienne francophone, les dynamiques se réorganisent autour de figures féminines fortes, avec des marques locales qui misent sur l’authenticité, les matières nobles et des campagnes inclusives. En Afrique du Sud, pionnière du continent en matière de libération des corps et d’expression individuelle, la lingerie s’affiche sans complexe. L’héritage d’une culture fashion influencée à la fois par l’Europe, les États-Unis et une scène créative locale vibrante nourrit un marché sophistiqué. Les femmes sud-africaines, de plus en plus connectées, revendiquent des produits qui célèbrent toutes les morphologies, du bonnet A au bonnet H, et des couleurs qui reflètent toutes les carnations. 

Une violence persistante

On ne peut pas parler d’intimité sans mentionner ce fléau qui dévaste encore de nos jours de milliers de femmes en Afrique.Les mutilations génitales féminines (MGF), aussi appelées excision, désignent toutes les interventions impliquant l’ablation partielle ou totale des organes génitaux externes féminins. Cette pratique, profondément ancrée dans certaines traditions, constitue une violation des droits humains fondamentaux. Selon l’UNICEF, plus de 230 millions de femmes et de filles vivantes aujourd’hui ont subi une MGF, dont 144 millions en Afrique. Chaque année, environ 4,3 millions de filles risquent d'être mutilées si les tendances actuelles se poursuivent. Il est important de ne pas l’oublier.

Un activisme en dentelle

En Afrique, la lingerie devient parfois un terrain d’émancipation féminine inattendu. Les créatrices ne se contentent pas de dessiner des culottes ou des soutiens-gorge. Elles s’en servent pour interroger la représentation du corps dans l’espace public, la sexualité, le droit au plaisir et la liberté d’expression. Cette "lingerie engagée" questionne : à qui appartient le corps féminin ? Comment s’habiller pour soi, et non pour le regard de l’autre ?
Les réseaux sociaux sont leur tribune. Des photographes comme Yagazie Emezi (Nigéria) capturent l’intimité avec une poésie brute, loin des stéréotypes. Des influenceuses comme Didi Stone (RDC) posent dans des ensembles de lingerie haut de gamme et revendiquent une sensualité assumée, noire et puissante. Dans certains pays, ces prises de position restent risquées. Mais elles participent à un mouvement global d’affirmation du droit des femmes à exister dans leur propre peau, à leur rythme, avec ou sans dentelle.

Une typologie produit dictée par les climats et les corps

Les produits les plus consommés varient fortement d’un pays à l’autre. Dans les zones chaudes et humides, le coton reste roi. Respirant, facile à laver, il est privilégié au quotidien. Les soutiens-gorge à armatures sont peu portés, remplacés par des bralettes, des brassières ou des bandeaux, souvent plus adaptés aux morphologies généreuses et aux fortes poitrines.Les culottes taille haute connaissent un engouement croissant, tant pour leur confort que pour leur effet sculptant. Les gaines et les dessous shaping font également partie des incontournables, notamment pour accompagner les silhouettes voluptueuses – une norme de beauté valorisée dans de nombreuses cultures africaines.La lingerie invisible, sans couture, commence, elle aussi à séduire, portée par une jeunesse mobile, qui privilégie discrétion et liberté de mouvement. La dentelle reste associée au luxe, souvent réservée aux grandes occasions. Quant au body, il fait son retour en force dans les garde-robes des femmes branchées.

Une morphologie trop longtemps ignorée

Les standards de taille occidentaux ont longtemps dominé l’offre disponible sur le continent, au détriment des morphologies africaines souvent plus pulpeuses et de tons de peau peu pris en compte. Résultat : une inadéquation criante entre l’offre et la demande. De nombreuses consommatrices témoignent encore aujourd’hui de leur difficulté à trouver des tailles adaptées alors qu’il y a une demande pour des lignes inclusive, allant jusqu’au bonnet G et au 52 européen. Le sur-mesure, parfois hérité de la tradition du tailleur local, revient aussi sur le devant de la scène, notamment dans les zones où l’offre industrielle reste limitée. On voit aussi émerger une nouvelle génération avec pléthore de petites marques locales, qui bénéficient d’une connaissance fine des habitudes culturelles et d’un storytelling aligné avec les aspirations de leurs consommatrices.

Un marché d’avenir ?

Avec plus de 600 millions de femmes, une population jeune et connectée, une montée en puissance des revendications féminines et un attrait croissant pour la mode, le marché africain de la lingerie recèle un potentiel immense. Mais pour y réussir, il faudra comprendre ses codes, respecter ses rythmes, s’adapter à ses morphologies, dialoguer avec ses cultures.

CURIOSITE

Qu’est-ce que le Baya ?

Appelé aussi « bin-bin » le « baya » est un bijou traditionnel africain porté autour de la taille, principalement par les femmes. Il s'agit d'une chaîne de perles, souvent en verre ou en plastique, qui peut avoir différentes significations culturelles et symboliques, notamment la séduction, la protection et la fertilité.

Témoignage

Marie Christine MOLU, fondatrice de Candy Lingerie


De ses débuts comme personnel navigant de cabine à la création de sa propre boutique de lingerie à Douala, Marie Christine incarne une femme d’action, entrepreneure par vocation et militante convaincue de la cause féminine. Elle est la fondatrice de Candy Lingerie au Cameroun, une boutique multimarque déjà parue dans la section Boutiques du Monde d’Intima. À côté des grandes marques internationales telles que Laura Ashley, Calvin Klein ou Wacoal, elle développe également ses propres marques : Candy Lingerie (lingerie et maillots de bain), Kyky (loungewear et pyjamas) et Candy Cosmetique’s, une ligne de cosmétiques intimes. Elle est aussi à l’origine du Salon International de la Lingerie Afrique

Marie Christine, au vu de votre propre expérience professionnelle, comment décririez-vous le marché de la lingerie en Afrique aujourd’hui ?

Le marché de la lingerie en Afrique évolue considérablement, bien plus qu’il y a vingt ans. À l’époque, il était largement dominé par les friperies de seconde main et les contrefaçons. Aujourd’hui, on observe une dynamique nouvelle : de nombreuses initiatives émergent, portées par des créateurs africains qui lancent leurs propres marques.Certes, le continent reste encore marqué par des tabous autour de la lingerie, les préjugés persistent, mais on note une réelle libération. De plus en plus de boutiques physiques voient le jour, les mentalités changent, et les consommateurs se montrent plus ouverts, y compris en ce qui concerne les accessoires dits « coquins ». Les femmes recherchent désormais des produits de qualité, alliant confort, esthétisme et tendance.


Quelles spécificités culturelles, esthétiques ou sociales influencent la consommation de lingerie sur le continent ?

Cela varie beaucoup selon les régions. L’Afrique du Sud, par exemple, se rapproche davantage des codes nord-américains, tandis que l’Afrique du Nord est plus influencée par l’Europe. En Afrique subsaharienne, la pudeur joue un rôle important : les consommatrices préfèrent souvent des modèles plus couvrants, réservés à l’intimité. En revanche, en Afrique centrale, on constate une approche plus libérée, une plus grande aisance vis-à-vis de la lingerie.


Y a-t-il une demande croissante pour certains types de lingerie ?

Oui, notamment pour les grandes tailles. Pendant longtemps, les marques proposaient des tailles peu adaptées à la morphologie des femmes africaines. Aujourd’hui, il y a un vrai besoin de lingerie seconde peau, sans coutures, gainante, avec un réel engouement pour le shapewear.

Quels sont, selon vous, les plus grands défis pour les marques de lingerie qui souhaitent s’implanter en Afrique ?

Le principal défi est de bien comprendre les morphologies africaines. Il est encore difficile de trouver certaines tailles, comme un bonnet E, par exemple. Autre obstacle : le prix. Les produits de qualité sont souvent très onéreux, et la cliente moyenne ne peut pas se permettre d’acheter un ensemble à 300 €. La lingerie reste encore perçue comme un luxe, voire un caprice, et n’est pas toujours une priorité, contrairement, par exemple, aux soins capillaires. Il y a donc un vrai défi à relever en matière d’accessibilité tarifaire.

Les consommatrices africaines ont-elles des attentes particulières que l’offre actuelle peine encore à satisfaire ?

Oui, notamment autour de la lingerie "nude". Pendant longtemps, les choix étaient très limités, et les teintes proposées ne correspondaient pas aux peaux noires. C’est une attente forte qui commence à être entendue, mais il reste encore beaucoup à faire.

Le marché local est-il dominé par les grandes marques internationales, ou existe-t-il un vrai tissu de marques africaines ?

Le marché est encore largement dominé par les marques internationales, souvent présentes à travers les friperies de seconde main. Cela dit, un véritable tissu de marques africaines émerge, porté par une volonté de répondre à une demande locale. Toutefois, ces marques rencontrent des difficultés à se développer, notamment à cause d’un accès limité à des réseaux de distribution solides.




Vous venez d’organiser une rencontre autour de la lingerie à Abidjan. Racontez-nous…

Le 14 juin dernier s’est tenue la toute première édition d’un salon entièrement dédié à la lingerie sur le continent africain. Un événement inédit qui a rencontré un beau succès, avec la participation de 15 exposants, et la présence de marques venues de différents pays - Nun lingeries, Toto Gourmand, Inside Out, Nina Coquine, Sside, Kinsey Addict, Kyky loungewear, Candy lingerie, mais aussi Séduction Sénégalaise (lingerie africaine traditionnelle), Shine by Nafytoo et Abalii. Nous avons aussi accueilli des experts tels le Dr Nastia (sexothérapeute), Coach Love (coaching /sexotherapeute), Fin’elle (services financiers pour les femmes).

D’où est née cette idée et comment comptez-vous la développer ?

J’ai commencé il y a une vingtaine d’années en ouvrant ma propre boutique. Je participe régulièrement au Salon International de la Lingerie et j’ai toujours été frappée par l’absence de marques africaines. C’est regrettable, mais compréhensible : avec le coût des billets d’avion et des stands, il est difficile pour nos marques locales d’y être représentées. C’est de cette frustration qu’est née l’idée de créer un salon sur le continent, pour rassembler les acteurs du secteur sur place. Cette première édition s’est donc tenue à Abidjan, véritable plateforme pour la mode africaine et s’est déroulée sur une journée, avec un format volontairement nomade qui changera de ville pour les prochaines éditions. L’objectif : aller à la rencontre des créateurs, des distributeurs et des passionnés, là où ils sont. Au programme : une exposition de marques, une conférence sur l’état de l’industrie de la lingerie en Afrique, ainsi que plusieurs master classes – « comment créer sa marque dans le contexte africain », « le bra fitting », « les secrets de séduction à l’africaine »…

Comment voyez-vous l’évolution de ce marché dans les 5 à 10 prochaines années ?

Si les différents acteurs jouent le jeu et continuent à s’investir, le marché africain a un avenir prometteur. On observe une tendance de fond : un retour aux sources, où les Africains souhaitent se reconnecter à leur culture. Ils sont de plus en plus sensibles au « Made in Africa ». Les marques qui parviendront à résister aux difficultés et à se structurer auront, sans aucun doute, le vent en poupe.

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